Voyage dans l’univers du thé vietnamien: de théiers à l’art de sa dégustation
Partout dans le monde, des millions de personnes commencent leurs journées avec une boisson chaude et stimulante comme le café ou le thé. La première est généralement plus populaire, mais la seconde l’est davantage au Vietnam, étant profondément liée à la vie quotidienne des habitants. Le « trà », comme on appelle le thé vietnamien dans le pays en forme de dragron, y est plus qu'un simple breuvage pour démarrer la matinée en avalant une tasse.
Il fait véritablement partie des traditions, en particulier dans les provinces du Nord, surtout préparé avec des variétés de feuilles vertes qui livrent un goût plutôt amer. Beaucoup d’échanges et de conversations, sur des potins de voisinage comme au sujet de thèmes politiques, discutés de façon parfois animée, se déroulent autour de plusieurs gobelets de « trà » vidés en série!
Compte tenu de l'omniprésence du thé au Vietnam, dans le contexte de la mondialisation de sa consommation qui n’est plus « limitée » à la sphère du Commonwealth britannique, il est surprenant que peu de gens connaissent l'histoire du thé du Vietnam. Justice sera faite dans la présentation qui suit, consacrée à l'histoire fascinante du « trà ». Depuis le nord de Hanoi jusqu’au sud de Saigon, il y a tant à raconter des plantations de théiers à l’art de sa dégustation!
Une tradition venue de Chine
La machine à remonter le temps permet de déterminer les origines de la consommation de thé par les Vietnamiens. Ils ont adopté cette boisson élégante et subtile lorsque les Chinois ont occupé le nord de leur pays et influencé leur mode de vie. Cela s’est fait sur le plan de la nourriture notamment, pendant près d’un millénaire à partir de deux siècles avant l’ère chrétienne.
Le thé a été découvert par hasard, dans des temps encore plus anciens il y a 5000 ans, lorsque l'empereur de Chine a vu des feuilles tomber dans une casserole d'eau bouillante. Il a constaté qu’elles formaient ainsi une substance liquide brune. Connu pour sa curiosité de scientifique, il a porté un intérêt pour cette nouvelle boisson, qu’il trouvait très rafraîchissante. Dès lors, elle a fait partie intégrante de la culture de ses sujets.
Après environ 1000 ans de domination par les voisins du nord, le Vietnam a retrouvé son indépendance. Mais nombreuses sont leurs traditions, comme l’attachement au thé, qui sont restées. Le boire était devenu un art, incarnant un état d’esprit. Il symbolisait la méditation, le contrôle de soi, l’hospitalité, la sérénité, ainsi que le raffinement. Jadis, pour de nombreux lettrés vietnamiens, la lecture de livres et la consommation du breuvage d’origine chinoise était souvent un moyen d’échapper à la vie chaotique et d’atteindre la tranquillité d'esprit.
Le « trà » a donc d’abord été, dans son lointain passé, plutôt une boisson noble réservée aux élites. Seulement par la suite, il est entré dans la vie quotidienne du peuple, en ville comme à la campagne. Le thé vietnamien est si apprécié, tant de la population locale que des étrangers, que le pays se classe actuellement aux 5e et 7e rangs mondiaux des exportations et de la production de la feuille désaltérante.
Un marqueur identitaire du Vietnam
La dégustation du thé vietnamien à beau suivre des rituels plus simples qu’en Chine ou au Japon, elle est solidement ancrée dans la culture vietnamienne. Les habitants en boivent partout et à tout moment, à la maison, sur leur lieu de travail, dans les petites gargotes établies sur des trottoirs étroits, ainsi que lors de fêtes traditionnelles, des mariages et des funérailles.
Le matin peu après le réveil, nombreux sont ceux qui se servent une tasse de thé vert chaud. Cela leur permet de commencer une nouvelle journée avec la sensation agréable de se rafraîchir et de partir l'esprit tranquille. On en consomme beaucoup, aussi, après les repas, en particulier le dîner, sans s’inquiéter du risque de rendre le sommeil plus difficile ensuite.
Partager un « trà » est également habituel lors d’une réunion familiale et dans les rencontres entre amis ou voisins, pour bavarder sur ses occupations et partager des anecdotes de la journée. Les Vietnamiens ont la conviction que leur breuvage national est doté d’un pouvoir rassembleur, en effet, exprimant le sens de l’accueil. Lorsqu'ils reçoivent des invités, offrir une tasse chaude est un signal fort d’ouverture et de cordialité. « Le thé est le début de toutes les conversations », comme on dit souvent.
Des montagnes du nord au delta du Mékong, on ne se contente pas de boire à la maison la boisson de l’hospitalité. Elle fait tout autant partie de la rue, pour preuve l’expression très courante « trà đá vỉa hè », qui se traduit littéralement par « boire du thé sur les trottoirs ». Il est souvent servi - glacé ou chaud - par des « quán cóc », les vendeurs ambulants que l'on trouve facilement à l’entrée des gares, des écoles, des bureaux, ou à l’écart dans des ruelles calmes.
Ces mini-bistrots sont généralement sans tables pour leur clientèle, étant juste équipés de petits tabourets en plastique. On remarque partout dans le pays des petits groupes de personnes, principalement des hommes, assises autour d'un « quán cóc » pour siroter nonchalamment une série de tasses de thé vert. Ils partagent des potins et écoutent les dernières nouvelles en fumant des cigarettes, souvent aussi, et en croquant des bonbons aux arachides par exemple, ou des graines de tournesol.
Récemment, le « trà chanh », c’est-à-dire le « thé au citron », est devenu très tendance. Au point qu’il est entré dans le langage courant des jeunes pour exprimer l’idée de « sortir ». Si l’on vous adresse un « Tra chanh khong? », qui se traduit par « Veux-tu boire du thé au citron? », cela indique qu'on vous invite à vous réunir dehors. Pour beaucoup de Vietnamiens, le « trà chanh » est plus qu'une boisson, c'est une expérience de la vie sociale, en particulier à Hanoi. Se désaltérer avec un thé au citron au cœur du vieux quartier, c'est plonger ses papilles dans le mode de vie de la jeunesse locale.
De la terre à la tasse
Les saisons de la théiculture
Le Vietnam compte de nombreuses zones théicoles, surtout dans les provinces du nord telles que Thai Nguyen, dans celles du nord-ouest ainsi que dans les Hauts Plateaux du Sud comme la ville de Dalat, la ville aux mille fleurs. Quelle que soit sa variété et la région où il s’épanouit, le théier alterne les périodes de pousse et de dormance.
En général, les récoltes ont lieu entre avril et octobre et donnent quatre types de feuilles, désignées par les noms des saisons (printemps, été, automne et hiver). Il parait que le meilleur moment de la journée pour la cueillette est entre 9h à 15h. On considère souvent aussi que la récolte d’avril produit le thé le plus savoureux. Elle s’effectue quand la végétation reprend de sa vigueur, en effet, et les bourgeons dormants développent de nouvelles ramilles.
Les variétés les plus populaires au Vietnam
Thé vert
Le « tra xanh », comme on l’appelle en vietnamien, doit toujours être mentionné en premier lieu quand on parle de la boisson désaltérante au pays en forme de S. Sa production suit quatre étapes, la cueillette des bourgeons, le flétrissement, le froissement et le séchage. Lorsque les feuilles sont ramassées, le processus de flétrissement est réalisé rapidement pour éviter l'oxydation, empêchée par torréfaction. Les températures élevées évitent que les enzymes de la plante s’activent.
Entre autres conséquences, le thé vert contient le plus d'antioxydants et de polyphénols, mais ses bienfaits ne se limitent pas à ces caractéristiques. Il peut également aider à prévenir toutes sortes de maladie graves, y compris le cancer et celles liées aux excès de cholestérol.
Le « tra xanh » le plus connu provient du district de Tan Cuong, dans la province de Thai Nguyen à environ 80 kms au nord de Hanoi. Cette zone théicole bénéficie de nombreux éléments géologiques favorables pour les théiers, donnant aux feuilles un goût typique que l'on ne trouve nulle part ailleurs.
Un autre membre de la famille verte, très apprécié, est le « shan tuyêt » ou thé des neiges, cueilli dans les hautes montagnes. La plante donne de grands bourgeons recouverts d'un léger duvet blanc qui pourrait évoquer des flocons et explique son nom. Cette variété vraiment originale est ancienne mais cultivée depuis une centaine d'années, seulement. On la trouve à des altitudes de plus de 1200 mètres, dans des régions du nord ou nord-ouest, telles que les provinces de Ha Giang, Yen Bai, Lao Cai et Dien Bien.
Ces théiers sont connus pour leur grandeur aussi, car ils font jusqu’à 15 mètres de hauteur avec des troncs pouvant avoir des diamètres de 2 mètres. Au moment de la récolte, les théiculteurs doivent grimper sur l'arbre pour cueillir les bourgeons, ce qui rend encore moins banal ce « shan tuyêt ». Plus tard, une fois les feuilles bouillies dans les tasses, la première gorgée donne une sensation d’amertume, suivie d’un goût doux, délicatement sucré.
Thé parfumé
Les fleurs comme le lotus, le chrysanthème ou le jasmin livrent un parfum que l’on associe à des types de thés populaires au Vietnam. Leur arôme se mélange harmonieusement avec le goût légèrement amer du breuvage ; une tasse de thé parfumé est unique en termes de saveur, de texture et de couleur. L'ensemble du processus pour la préparer exige des mouvements manuels, essentiellement, avec beaucoup de soin pour préserver les effluves naturels en jeu.
Le lotus du Vietnam représente quelque chose de sacré et de noble pour le peuple du pays du dragon. Le thé de lotus est également le plus connu, représentant lui l'âme de la culture du thé vietnamien. Son parfum exquis et son goût délicat ont fait sa renommée, au point qu’on l’a appelé « le thé pour le roi ». La sophistication des étapes de fabrication est élevée, car ces fleurs sont un symbole de pureté et d'intégrité dans la nation asiatique.
Tout d’abord, il faut les cueillir lorsqu'elles viennent d’éclore. Pour bien préserver leur fraicheur, elles sont ensuite trempées dans l'eau claire. Le thé vert offre souvent la meilleure qualité quand on l’associe à des bourgeons de lotus. On les enveloppe ensemble dans des feuilles de la fleur, pendant toute une nuit. Puis l’on sert l’excellent breuvage le jour suivant, en versant de l’eau bouillante ou presque.
Le Vietnam compte de nombreux autres thés préparés avec des plantes diverses. Un des plus connus, au point d’être vendu aussi en sachets dans des boutiques spécialisées en Europe, est celui d’artichaut. Il est produit à partir de ses fleurs ou ses tiges, dans la région de Dalat notamment. On boit beaucoup aussi du thé de camomille et de gingembre.
L'art de la dégustation du thé vietnamien
La plupart du temps, les Vietnamiens ne s’encombrent pas d’un protocole rigide pour boire un « trà ». Réunis avec des amis, ils « rallongent » à loisir leurs feuilles de thé vert à renfort d’eau chaude pendant des heures. Mais cela ne les empêche pas de respecter certaines règles, héritées des usages traditionnels.
Pour préparer une bonne tasse, on met des feuilles séchées dans la théière, et celle-ci est remplie avec de l'eau bouillante. Il ne s’agit que d’un rinçage car il faut jeter le liquide chaud après une dizaine de secondes ; ce processus est supposé réveiller les saveurs issues de la plante. Ensuite, on infuse à proprement parler le thé pour effectuer le trempage. Un couvercle mis sur la théière permet de maintenir la température élevée et constante pendant trois minutes. Puis l’on verse lentement le thé vert dans la tasse, généralement très petite. Du coup, on la vide à plusieurs reprises, à un rythme assez soutenu avec quelques gorgées chaque fois.
Il convient de préciser qu’on n’ajoute pas du sucre ou du lait, contrairement aux habitudes de beaucoup d’Occidentaux. Une autre façon de déguster le thé du Vietnam, dans la culture traditionnelle vietnamien, c’est aussi de le boire avec des feuilles fraîches. Tout comme avec le thé séché, l’expérience est unique.
Conclusion
Nous vous souhaitons de pouvoir bientôt prendre des tasses de thé vietnamien avec des locaux ou des compagnons de voyage. Assis un matin sur un tabouret en plastique rouge d’une échoppe de rue, par exemple, ou bien dans un établissement de plus grand standing, vous partagerez avec eux une version de l'infusion. Ayez bien en mémoire, alors, que ce n'est pas seulement du « trà » que vous consommez. C'est un résumé ou un symbole sous forme liquide de l'histoire, de la diversité et de la culture populaire de leur pays, réunis dans chaque tasse ! Ce qui ne vous empêchera pas, et même vous incitera peut-être à goûter d'autres boissons et plats locaux incontournables.