Chique de bétel et les sourires rouges des aînés vietnamiens

En venant à la campagne, avez-vous déjà remarqué ces femmes âgées arborant des sourires rouges? Plus qu'une simple habitude quotidienne, la chique de bétel est une coutume traditionnelle profondément ancrée, pratiquée lors des événements importants depuis des millénaires. En effet, les Vietnamiens ont un dicton populaire transmis depuis la nuit des temps: "Miếng trầu là đầu câu chuyện" (Une chique de bétel est le début de la conversation).

Autrefois, ce type de "chewing-gum" naturel était offert aux invités lors des visites, à la place du thé que l’on sert aujourd’hui. Évoquer la noix de bétel au Vietnam, c'est toucher à tout un pan de la culture locale. Restez avec nous pour découvrir les fascinantes histoires liées à cet héritage culturel unique.

Écrit par Thu Giang, expert localMis à jour le 04-01-2025

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Pourquoi les Vietnamiens mâchent-ils du bétel ?

Comme le fromage chez les Français ou le thé chez les Britanniques, la chique de bétel était omniprésente chez les Vietnamiens, remontant à l’époque des rois Hùng, à l’aube du pays. Le bétel était étroitement lié aux normes de beauté des anciens Vietnamiens, notamment à la pratique du noircissement des dents. 

Pour les femmes d’autrefois, des dents noires, rouges grâce au bétel, étaient une manière naturelle de se faire belles, accompagnées de lèvres rouges et de joues rosées. Aujourd’hui, cette tradition a décliné, remplacée par l’idéal de dents blanches, les lèvres rouges obtenues avec du rouge à lèvres, et les joues roses grâce au maquillage. La chique pendant des heures libère lentement un liquide rouge diffusant une odeur agréable rafraîchissant l’haleine.

La chique de bétel sous l’angle de la culture vietnamienne

• Symbole incontournable dans le mariage au Vietnam

Symbole du "début de la conversation", la chique de bétel joue un rôle à la fois social et symbolique. Lors des cérémonies de mariage et de fiançailles, ces éléments figurent toujours sur les plateaux d’offrandes. On dit que l’apparence des noix d’arec et des feuilles de bétel peut prédire le bonheur et la réussite du couple.

Traditionnellement, lorsqu’une famille marie sa fille, des noix d’arec et des feuilles de bétel sont offertes aux voisins et aux membres de la famille élargie, en signe de partage et de gratitude. Même si certains n’en consomment pas, personne ne refuse ces offrandes, par respect pour la tradition.

▶️ Dans les villages vietnamiens, le trầu cau (noix d'arec) est préparé avec soin par les aînés de la famille, qui se réunissent sur un tapis de paille décoré du symbole du mot "Hỷ" (représentant les "événements joyeux") pour confectionner ensemble des noix d'arec sculptées en forme de phénix. De leurs mains expertes, ils découpent les feuilles de bétel en formes d'ailes de phénix, veillant à ce que toutes les noix d'arec soient uniformes et identiques. Si des femmes effectuent cette tâche pour vous, les mariés auront plus de chance. Découvrez également les traditions des mariages au Vietnam.

• Offrandes de respect et de vénération envers les ancêtres

Sur les autels familiaux, le bétel et les noix d'arec sont des offrandes indispensables, symbolisant le respect des générations actuelles envers leurs ancêtres. Pendant le Têt (Nouvel An vietnamien), des plateaux de bétel et d’arec sont disposés sur les autels pour attirer prospérité et chance pour la nouvelle année. Les noix d’arec doivent être soigneusement choisies: elles doivent être grosses, vertes et fraîches, tandis que les feuilles de bétel doivent être intactes et d’un vert éclatant. Le bétel est également utilisé pour accueillir les visiteurs venant présenter leurs vœux pour la nouvelle année.

>>> En savoir plus sur: Le Nouvel an vietnamien (Fête du Têt)

La chique de bétel vue par les Français

La coutume de mâcher du bétel était très répandue parmi les anciens Vietnamiens, comme le décrit Charles Edouard Hocquard dans son ouvrage Une campagne au Tonkin. Selon lui, presque tous les Vietnamiens consommaient régulièrement du bétel, faisant de cette pratique une partie intégrante de leur mode de vie. Les femmes de la haute société et les fonctionnaires se déplaçaient souvent accompagnés d’un serviteur chargé d’un crachoir en cuivre et d’un coffret finement sculpté, contenant tout le nécessaire pour préparer le bétel. Cette tradition reflétait un certain raffinement culturel.

À cette époque, la consommation de bétel était omniprésente, non seulement au Tonkin (l’actuel nord du Vietnam), mais aussi dans toute l’Indochine. Tous, des travailleurs aux enfants, en passant par les femmes et les personnes âgées, mâchaient du bétel tout au long de la journée, à l’exception des repas ou du sommeil. Même les personnes âgées, dont les dents fragiles ne leur permettaient plus de croquer les noix d’arec, continuaient à en consommer en broyant les noix à l’aide de petits mortiers en cuivre. Le bétel occupait également une place centrale dans les relations sociales et commerciales. Aucun échange entre deux marchands ne commençait sans offrir une chique de bétel, un geste symbolisant à la fois l’hospitalité et le respect.

Comment consommer le bétel et la noix d’arec ?

Le terme "mâcher du bétel" (“nhai trầu” en vietnamien) est une expression simplifiée, car cette pratique implique en réalité la combinaison de plusieurs ingrédients. Traditionnellement, la chique de bétel se compose de plusieurs éléments : la feuille de bétel, la noix d’arec, l’écorce d’arbre et la chaux éteinte. Certaines personnes ajoutent également quelques brins de tabac ou du "thuốc lào" (tabac à priser), qu’elles mastiquent avec la chique. Cette addition permet de renforcer et prolonger la saveur caractéristique de la chique de bétel, tout en laissant un arôme particulier sur les dents.

Charles Edouard Hocquard, médecin militaire français, décrit avec curiosité et précision la préparation du bétel dans son livre. Lorsqu’il observe ses travailleurs (appelés "cu-li") préparer une chique de bétel (terme vietnamien "têm trầu"), il remarque que ce processus est minutieux et demande habileté et patience. En tant qu’étranger, Hocquard se montre très intrigué par cette pratique traditionnelle.

Il décrit en détail un homme assis près de lui, préparant une chique avec soin. L’homme dispose ses outils sur ses genoux : un couteau pour couper la noix d’arec, une grande aiguille et un sac contenant de la chaux éteinte (sous forme liquide).

Voici les étapes qu’il observe :

• L’homme prend une feuille de bétel dans sa main gauche.
• Il plonge l’aiguille dans le sac de chaux et l’applique plusieurs fois sur la feuille.
• Ensuite, il sort une noix d’arec séchée et une racine rouge de sa ceinture, puis coupe un petit morceau de chaque.
• Ces morceaux sont placés au centre de la feuille, qu’il roule ensuite en un petit paquet de la taille d’un doigt.

Ainsi, la chique de bétel est prête à être mâchée. Hocquard souligne la précision et l’attention nécessaires pour cette préparation, révélant l’importance culturelle et l’habileté impliquées dans ce rituel quotidien au Vietnam.

Quel est le goût de la chique de bétel ?

Après avoir essayé de mâcher du bétel, on découvre une expérience plutôt agréable, caractérisée par une sensation de fraîcheur et un effet coupe-faim. Cet effet était particulièrement apprécié par les anciens Vietnamiens lorsqu'ils avaient faim mais manquaient de nourriture. 

Cependant, certains effets secondaires sont à noter : une consommation excessive peut provoquer un gonflement des lèvres, teinter les dents en rouge-brun et endommager l’émail dentaire. Malgré ces inconvénients, les Vietnamiens considèrent cette pratique comme très plaisante, témoignant de son profond ancrage culturel et de son attrait durable.

En résumé,

Aujourd'hui, la consommation de la chique de bétel n'est plus aussi courante qu'auparavant au Vietnam. Elle est désormais réservée à des occasions spéciales et importantes. Bien que cette pratique soit en déclin, la chique de bétel reste un élément culturel précieux et caractéristique du Vietnam, ainsi que de certains autres pays d'Asie du Sud-Est.

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